LYON 1ère

BRUNO LINA : « TOUT LE MONDE VA ETRE INFECTE PAR CE VIRUS, DONC SI ON VEUT EVITER CETTE INFECTION, LA SEULE FAÇON DE FAIRE, C’EST D’ETRE VACCINE »

Gregoire Levy

Gregoire Levy

Ces derniers jours, plusieurs milliers de créneaux de vaccinations sont restés vacants, alors que le déconfinement est imminent. Bruno Lina est directeur du centre national de référence de la grippe, chef du laboratoire de virologie du CHU de Lyon, et membre du conseil scientifique. Dans une interview à Lyon première, il livre son analyse sur le vaccin AstraZeneca, ainsi que sur la situation sanitaire et le déconfinement.

Bonjour M. Lina. Pour commencer, estimez-vous que le vaccin d’AstraZeneca est réellement boudé par les français ?

Bruno Lina. Alors ce qu’on observe c’est deux choses. C’est-à-dire qu’il y a des questionnements autour de ce vaccin d’AstraZeneca et effectivement c’est important qu’on apporte des clarifications, pour que tous ceux qui sont vaccinés par ce vaccin aient l’ensemble des informations. Mais dire qu’il est boudé c’est un petit peu excessif. En tout cas, il y a un certain nombre de questionnements, sur la fréquence des effets secondaires, sur la raison pour laquelle il a arrêté d’être utilisé pendant un petit moment puis repris, et l’ensemble des signaux que l’on peut avoir au niveau international.

Imaginons qu’on vaccinait toute la population lyonnaise avec ce vaccin et uniquement avec ce vaccin, ça ferait 4 personnes, qui seront susceptibles de faire ce que l’on appelle un accident thrombotique. C’est-à-dire qu’il y a un caillot qui se développe, et qui, si une intervention n’est pas faite rapidement, peut provoquer un problème sérieux voire un décès. Donc voilà le niveau de risque, quand on sait que dans la ville de Lyon on a en parallèle un peu plus d’un millier de personnes qui sont infectées tous les jours par ce virus. 

La balance risques – bénéfices est-elle positive pour vous ?

Bruno Lina. Oui absolument, d’autant plus que ce qui a été décidé de faire c’est de restreindre l’accès à ce vaccin vers ceux qui sont moins à risque de faire ces accidents thrombotiques. Donc bien évidemment la balance bénéfices – risques penche très en faveur de la vaccination, sans aucun doute.

« On est dans une période de transition, où cette reprise de la vaccination va se faire progressivement »

Pourtant récemment, il y a eu plusieurs milliers de désistements pour une injection d’AstraZeneca. A qui la faute ? Cela constitue-t-il un retard important dans la stratégie de vaccination française ?

Bruno Lina. Il faut différencier deux choses : […] il y a effectivement certains endroits où il y a encore des créneaux vides et d’autres où les gens cherchent des créneaux. Donc il y a une certaine disparité et très clairement, il y a un certain nombre de régions où les gens essaient depuis quinze jours, trois semaines, d’avoir un créneau de vaccination sans y arriver, quel que soit le vaccin d’ailleurs.

[…] A côté de cela on a les deuxièmes doses AstraZeneca qui sont actuellement en cours d’administration, et il y a des appels à vérifier que les gens viennent bien, et dans ces conditions on sent une certaine hésitation. Mais certains vont avoir la possibilité de basculer, en particulier les moins de 55 ans, vers le vaccin Pfizer. Donc aujourd’hui, on est dans une période de transition, où cette reprise de la vaccination va se faire progressivement.

La stratégie de vaccination actuellement en place est-elle la bonne d’après vous ?

Bruno Lina. De toute façon aujourd’hui ce qui est important c’est de vacciner les plus fragiles. Et si on ouvrait la vaccination à toute les tranches d’âges, ce serait compliqué à gérer parce qu’on ne pourrait pas répondre à la demande. Donc il faut qu’on ait suffisamment de vaccin pour pouvoir ouvrir des plages de vaccinations et il faut surtout que l’on garde en tête que cet objectif de vaccination a deux rôles.

Le premier, c’est de réduire le nombre de formes sévères d’infections par ce coronavirus. Or, ces formes sévères, ces formes qui conduisent à l’hôpital, ces formes qui font qu’aujourd’hui qu’il y a 6 000 personnes en réanimation en France, elles sont observées essentiellement chez les personnes fragiles. Donc c’est elles qu’il faut protéger en premier, et c’est elles qu’il faut absolument arriver à immuniser de façon à ce que, une fois qu’on a arrêté d’avoir cette pression sur le système de santé, on puisse basculer sur le reste de la population.

La stratégie, c’est sensiblement la même que celle qui a été faite partout. Elle est associée aux capacités de vaccinations, aussi bien d’un point de vue logistique que d’un point de vue du nombre de vaccins, et elle se décline progressivement du plus fragile vers le moins fragile. Ce qui est normal et assez cohérent.

« Personne ne pourra échapper à l’infection virale, ce n’est pas possible, […] donc si on veut éviter cette infection, la seule façon de le faire c’est d’être vacciné »

Que faudrait-il faire pour que les français hésitent moins à se faire vacciner avec l’AstraZeneca ?

Bruno Lina. La raison pour laquelle j’hésite à vous répondre, c’est que moi personnellement je ne sens pas cette hésitation. Elle est beaucoup discutée dans les médias, mais dans la réalité des centres de vaccinations, on ne la voit pas. On ne la voit pas en tout cas au niveau auquel elle est discutée dans les médias. Ce que l’on voit aujourd’hui c’est qu’il y a un besoin d’explication, et c’est clair qu’il faut […] être transparent. Il faut impérativement dire les choses de façon à ce que tout le monde, quand il accepte le vaccin, le fasse en connaissance de ce qu’il accepte.

Il faut aussi avoir un message qui est extrêmement positif. Aujourd’hui, une fois qu’on est vacciné avec ce vaccin AstraZeneca, on est protégé contre les formes graves d’infections au coronavirus, y compris aux infections avec les variants. Donc il y a vraiment aujourd’hui une porte de sortie de la crise qui ne passera pas par autre chose que la vaccination. Il faut bien comprendre que dans une pandémie, à un moment donné, et c’est pour ça que ça s’appelle pandémie, tout le monde va être infecté par ce virus, personne ne pourra échapper à l’infection virale, ce n’est pas possible. Ça peut prendre parfois du temps, […] mais tout le monde sera à un moment donné infecté par ce virus.

Donc si on veut éviter cette infection, la seule façon de le faire c’est d’être vacciné. L’enjeu est aujourd’hui de bien faire comprendre que c’est quelque chose qui doit être réalisé par l’immense majorité de la population à titre de protection individuelle. Et la deuxième chose c’est aussi que c’est à visée collective, générale. Plus il y aura de vaccinés, moins le virus circulera, et moins le virus circulera, moins on aura le risque de voir apparaitre des variants.

Un déconfinement progressif devrait démarrer le 3 mai. Est-il précipité ?

Bruno Lina. Le déconfinement est attendu. Tout le monde aujourd’hui le souhaite, et il y a une espèce de fatigue autour de l’ensemble des mesures qui sont faites pour le freinage de la circulation du virus. A un moment donné, il faut qu’il ait des signaux qui montrent que l’on est en train de sortir de cette période de crise. […] Il faut donc qu’on ait progressivement des signaux qui montrent que les choses vont mieux, même si elles ne vont pas forcément très bien.

Mais l’amélioration est lisible même si elle n’est pas encore manifeste. Donc c’est assez légitime de vouloir un certain nombre de soulagement dans les mesures de contraintes. Après il faut les faire progressivement. Tout l’enjeu va être justement de soulager, de relâcher un petit peu la pression sans que cela ne conduise à une reprise épidémique. Donc c’est un équilibre assez compliqué à trouver, mais à priori il y a des pistes pour le faire dans de bonnes conditions.

Donc [un confinement] précipité, oui et non. C’est toujours pareil : si on ne déconfine pas, ça va être pourquoi on ne déconfine pas, et si on déconfine c’est pourquoi on déconfine. Donc il faut juste dire qu’en pratique il y a un choix qui a été pris par le politique, ce choix est de rentrer dans une période de déconfinement. Eh bien accompagnons le mieux possible, en sachant que c’est une décision prise par le politique mais que finalement la circulation du virus ce n’est pas la politique qui la fait, c’est les gens.

« Il pourrait y avoir une reprise épidémique »

Par rapport à début avril, moment où le troisième confinement a été annoncé, trouvez-vous la situation sanitaire plus stable, voire meilleure, aujourd’hui ?

Bruno Lina. En tout cas, ce que l’on avait début avril c’est une montée du nombre de cas, une augmentation du nombre de patients, et une augmentation du taux d’admission en réanimation. Aujourd’hui on est sur une décroissance du nombre de cas, une décroissance du nombre de patients hospitalisés, et un plateau sur les patients en réanimation. Donc on est passé par le pic, on est en train de redescendre. Et il est clairement aujourd’hui beaucoup plus facile d’imaginer une sortie qu’au début du mois d’avril.

Pensez-vous que l’on voit le bout du tunnel, notamment grâce à la vaccination ?

Bruno Lina. Clairement, aujourd’hui, la vaccination nous permet d’anticiper une sortie de crise, en sachant qu’il faut imaginer que ce n’est que la vaccination qui va régler le problème. C’est aussi un ensemble de comportement et on vient d’en discuter, du fait que la levée des mesures de freinage doit se faire de manière progressive, qu’un certain nombre d’habitudes qui ont été prises pour casser les chaines de transmissions doivent encore être pris malgré les signaux positifs.

Il va falloir qu’on essaie de ne pas prendre de risques par rapport à la recirculation du virus, parce que dans ces conditions il pourrait y avoir une reprise épidémique. Toutefois, aujourd’hui, on a énormément d’atouts dans nos mains, qui sont les connaissances que l’on a sur le virus, et les mesures de freinages qui peuvent s’appliquer individuellement, et puis cette vaccination qui avec sa montée en charge va permettre à tout le monde de profiter de l’immunité collective. Donc on est plutôt, oui, en face d’une sortie de crise.