LYON 1ère

FESTIVAL LUMIÈRE – MASTER CLASS DES FRÈRES DARDENNE : UN CINÉMA ENCRÉ DANS NOTRE SOCIÉTÉ

Laura Nodari

Laura Nodari

Quelques heures avant la remise du Prix Lumière ce vendredi 16 octobre, le théâtre des Célestin a accueilli Jean-Pierre et Luc Dardenne pour leur prestigieuse Master Class.

Ces deux frères du cinéma ont commencé par inviter deux personnes sur scène : Marie et Erwan, défendant les précaires et extras menacés par la situation sanitaire. Ils sont venus défendre ces milliers de travailleurs sous-payés, oubliés par les décisions du gouvernement, et qui basculent chaque jour dans la pauvreté. Pourtant, sans eux le Festival Lumière n’aurait pas eu lieu, leurs deux représentants sont donc venus appeler à les soutenir et demander « fraternité et égalité » plutôt que « solidarité ».

Jean-Pierre Dardenne a été bouleversé par ces deux discours et Luc a certifié que pour ces personnes qui ont le sentiment d’être exclues de la communauté humaine l’inégalité sociale est encore plus forte actuellement et qu’ils ont donc raison de se révolter : « Finalement le bénévolat c’est pas mal car sans ça on serait encore plus bas. »

Thierry Frémaux a souligné que leur cinéma n’était jamais militant et que pourtant ils parlent d’individus dans la solitude, dans la complexité de la vie industrielle. Leur but est de donner une « visibilité à la population invisible », de rendre vivant leurs personnages sans les enfermer dans un cadre et les rendre indomptables pour que le spectateur s’interroge en un dialogue intérieur sur leur mystère, sur leur personnalité difficilement explicable : « Ce qu’on essaie de faire c’est que le spectateur, quand il est face à la vie de ces personnages, se sente devenir plus vivant, pour devenir l’autre et sortir des idéologies fermées ». Ils souhaitent que leurs personnages résistent aux spectateurs, à l’interprétation, en gardant leur singularité. Pour Luc, leur but est que le spectateur partage la détresse du personnage, qu’il puisse vivre un moment où il devient quelqu’un d’autre, « où il devient Rosetta ».

Pour ces portraitistes de l’industriel, leur travail est aussi d’évoquer la société par les enfants, en particulier ceux qui sont seuls. Ils cherchent à faire écouter « la voix d’un enfant au destin déjà tracé et qui va droit dans le mur » pour chercher à les comprendre et à se poser la question « Comment vraiment sauver ces personnages ? ». Il est important pour eux de rendre compte qu’ils ne sont pas seulement des victimes, mais font paraître une certaine volonté en eux, une certaine satisfaction dans leurs actes. Ils ont d’ailleurs donné l’exemple du Jeune Ahmed, la seule solution qu’ils ont trouvée c’est confronter le personnage principal à sa propre mort, en tentant de trouver comment la chute du mur peut le ramener à la vie.

Ces deux auteurs et poètes ont raconté leurs expériences d’écriture et de tournage tout en mettant en valeur la complémentarité de leur travail de documentariste en disant : écrire en s’appelant mutuellement, faire le casting ensemble et répéter à deux . « Le secret c’est qu’il n’y a pas de secret (…) On vient avec ce que nous sommes ».

Ils ont aussi évoqué leurs difficultés, et leur originalité à travers des motifs du cinéma contemporain qu’ils ont inventés comme c’est le cas du traveling arrière partant du cou de Rosetta. Ils ont aussi fait allusion à leur fin de film aux manières abruptes, à leurs particularités de cadrage, mais aussi à l’importance des accessoires et surtout des vêtements. En effet, avec eux l’essai des costumes dure pas moins de cinq semaines, le temps du tournage, jusqu’à ce que le personnage commence à naître. Enfin, pour eux il est nécessaire que des choses échappent aux réalisateurs pour laisser le champs libre aux spectateurs.

Malgré toutes les thématiques graves qu’ils abordent dans leurs films, Thierry Frémaux a remarqué que ces deux grands noms du cinéma ne sont pas sombres et tragiques dans la vie, bien au contraire : « on essaie de toujours être dans la vie, c’est ça l’héritage des frères Lumière ».

Jean-Pierre et Luc Dardenne ont fait rayonner cette deuxième moitié de Festival. Ils ont été à la rencontre du public lyonnais à de très nombreuses occasions pour présenter leurs films à des salles jusque dans la périphérie de Lyon : une chance de les avoir reçus dans notre ville au cours de cette année si complexe pour l’ensemble de la société.