LYON 1ère

CINÉMA : LE PRIX LUMIÈRE A ÉTÉ REMIS AUX FRÈRES DARDENNE

Laura Nodari

Laura Nodari

Jean-Pierre et Luc Dardenne ont été récompensés et acclamés par les 1000 spectateurs du Centre des Congrès de Lyon, ce vendredi 16 octobre à l’occasion de la remise du Prix Lumière 2020.

Lors de ce dernier soir sans couvre-feu à 21h, Thierry Frémaux a souligné la dégradation de la situation sociale et culturelle mais a tout de même partagé avec humour les propos de Laurent Gerra :  » Le festival Lumière qui se termine par un couvre-feu en même temps c’est normal ».

Il nous invite à ne pas baisser les bras face à ces nouvelles mesures sanitaires mais de modifier nos habitudes en allant au cinéma le matin ou à 14h, en demandant le télétravail.

Un air de fête s’est fait sentir à Lyon lors de cette soirée qui a réuni de nombreux invités. C’est le cas de Rossy de Palma, Clotilde Courau, Emilie Dequenne, Thomas Dutronc, Laurent Gerra, Eris Guirado, Zita Hanrot, Kad Merad, Ludivine Sagnier, ou encore Vincent Perez.

Le teaser présentant le programme de cette 12e édition du Festival a été diffusé en début de soirée : une façon de remettre en mémoire les scènes cultes de ces films comme la scène de beuverie dans la cuisine des Tontons Flingueurs ou encore la scène du jet de déchets de poulet en voiture dans Green Book : une occasion de faire revivre ces moments sur grand écran.

Mais parce que le cinéma est étroitement lié à la musique, la soirée a été rythmée par trois pauses musicales. Le compositeur franco-libanais Gabriel Yared, ayant reçu de nombreuses récompenses pour ses thèmes musicaux sur les films de Jean-Luc Godard, Jean-Jacques Beineix, Anthony Minghella ou encore Xavier Dolan. De la bande originale du Patient anglais à un hommage à Bach, il a su envoûter les spectateurs présents et les lauréats du prix Lumière auquel il dédiait sa prestation. Jeanne Cherhal est également venue interpréter la chanson francophone Bruxelles du néerlandais Dick Annegarn, annoncée par Thierry Frémaux comme « l’une des plus belles chansons du monde ». Enfin, Thomas Dutronc a repris le titre que son père interprétait il y a plus de quarante ans, La balade des bons et des méchants de Francis Lai, tiré du film Le bon et les méchants, grand film de Claude Lelouch, fidèle au Festival Lumière. Titre allusif à l’avant et après guerre, qui, comme l’a souligné Thierry Frémaux, nous a fait étrangement penser aux temps présents.

Lors de cette cérémonie a été projeté le court-métrage co-réalisé par Jr et Alice Rohrwacher. Lyon est la deuxième ville, après Venise, à dévoiler ce film de neuf minutes au grand public, aux couleurs écologistes, qui traite de l’agriculture paysanne. Écologie d’ailleurs mise en valeur par le Festival qui depuis 2009 présente une démarche bas carbone afin de compenser son impact environnemental.

Parce que le Festival Lumière c’est refaire vivre l’histoire du cinéma, les images de quelques premiers films ont été rediffusées et notamment Sortie d’Usine des Frères Lumière qui selon les mots de Thierry Frémaux ont inventé le cinéma à la fois comme art et comme pratique avec le cinématographe dont on célèbre cette année les 125 ans. En clin d’œil aux frères Dardenne, ont a pu également visualiser un extrait du premier film Belge.

L’acteur Jérémie Renier, qui ne pouvait être présent, a adressé un message vidéo aux lauréats ayant souvent travaillé avec lui et ayant surtout lancé sa carrière avec le film La Promesse sorti en 1996. Emilie Dequenne s’est également prononcée sur son attachement à ces deux grands noms du cinéma contemporain, qui pour elle lui ont donné naissance en tant qu’actrice. Autre discours prononcé : celui de Bertrand Tavernier, qui était absent pour cause de problèmes de santé, mais qui a été lu par Thierry Frémaux. Des mots qui, outre le fait de montrer l’importance du cinéma dans la lutte contre les injustices sociétales, ont prouvé que Bertrand Tavernier avait enrôlé dans sa propre famille ces deux artistes belges. Il a loué leur caméra qui ne connait pas à l’avance les personnages, qui défait les préjugés, et a terminé l’hommage à leur art sur des mots de Victor Hugo issus de la préface des Misérables, dans laquelle il suffit de remplacer « livres » par « films » pour résumer les valeurs et engagements du septième art :

« Tant qu’il existera, par le fait des lois et des mœurs, une damnation sociale créant artificiellement, en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit, ne seront pas résolus ; tant que, dans de certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, et à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, des livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutiles. »

Jean-Pierre et Luc Dardenne se sont livrés à un petit jeu de reconnaissance de photos de leurs différents films et tournages : une occasion de dérouler l’éventail de leur art depuis leur premier film Falsch en passant par Je pense à vous, Le jeune Ahmed mais aussi La promesse. Mais on a également pu revoir à l’écran, l’art de ces deux réalisateurs aux prises de position humanistes et engagées à travers une compilation de certaines de leurs plus belles scènes.

Lorsqu’on leur a remis le prix Lumière 2020, Jean-Pierre Dardenne a pris la parole pour revenir à leur premier tournage en 1977 avec le projet de réaliser des films sur l’histoire du mouvement ouvrier de leur région, autour des banlieues industrielles de Liège, avec des témoignages de femme et d’homme qui ont payé de leur personne. Ils sont revenus sur le moment où ils ont découverts l’importance des accessoires et des corps en mouvement de leurs personnages : pour la première fois ils ont donné vie à la présence unique de chaque personne qu’il filmait. Luc Dardenne a déclaré que ce prix a aussi quelque chose d’unique, pas seulement parce qu’on le reçoit qu’une seule fois dans sa vie mais parce que c’est le symbole d’un héritage unique : celui des Frères Lumière qui eux aussi filmaient les mouvements de la vie. Le but de ces héritiers belges est de rendre vivant leurs personnages sans les enfermer dans un cadre et les rendre indomptables pour que le spectateur s’interroge en un dialogue intérieur sur leur mystère : « Ce qu’on essaie de faire c’est que le spectateur, quand il est face à la vie de ces personnages, se sente devenir plus vivant, pour devenir l’autre et sortir des idéologies fermées ».

La soirée s’est ensuite achevée avec la projection de leur film Rosetta, dont le rôle titre était interprété par Emilie Duquenne.

Jean-Pierre et Luc Dardenne
Jeanne Cherhal
Thomas Dutronc