LYON 1ère

JANE CAMPION ACCLAMÉE AU FESTIVAL LUMIÈRE 2021

Laura Nodari

Laura Nodari

Dans le cadre de cette 13e édition du Festival Lumière, Lyon célèbre l’art de Jane Campion.

Ayant réalisé Sweetie, Un ange à ma table, La Leçon de piano, Portrait de femme, Holy Smoke, In the Cut, Bright Star et récemment Le Pouvoir du chien, l’actrice néo-zélandaise a été présentée par Thierry Frémaux comme l’artiste des premières fois. Elle a notamment été la première réalisatrice à recevoir la Palme d’or à Cannes, en 1993 puis la première à être présidente du Jury au festival de Cannes.

Comme le veut la tradition le théâtre des Célestins a accueilli quelques heures avant la remise du prix Lumière, sa lauréate qui a donné sa Master class ce vendredi 15 octobre. Cela a été l’occasion pour la cinéaste de 67 ans de revenir sur l’ensemble de son œuvre dont les films sont empreints de nature, de littérature, de passion, de violence et de corps filmés sans aucune gêne.

Cette conversation a d’abord été le témoignage de sa force. Elle a reconnu que pour elle tout est question d’énergie depuis ses 24 ans et sa sortie des frustrations de l’adolescence. Effectivement, quand elle était encore étudiante de cinéma, elle est passée soudainement du « désir de cinéma » à « l’action de cinéma » avec comme maître mot « faire », « essayer tout le temps sans jamais baisser les bras ». Elle a exprimé avoir une extrême confiance autour de ses idées qui lui donne une flamme, une montée d’énergie qui fait toujours croitre ses projets.

Cette énergie ne l’empêche pourtant pas de prendre son temps pour soigner son travail et son talent. En effet, elle enchaîne les films de manière plutôt entrecoupée de pauses qui lui sont nécessaires pour se restaurer, retrouver l’envie de raconter, de partager avec le public. Elle cherche un juste milieu entre « en faire trop, entrainant une perte de talent » et « n’en faire pas assez, entrainant des difficultés à le retrouver ». Sans négliger pour autant l’éducation de sa fille, avec qui elle a tenu à passer beaucoup de temps.

Cette conversation a aussi été l’expression de sa passion pour la littérature. Elle a souvent été amenée à transposer ce qu’elle a lu au cinéma, aux travers d’adaptations, de traductions en suivant le livre d’origine comme une carte routière la guidant dans son travail. Cela commence par une histoire d’amour, de passion avec le livre : elle laisse le livre « déployer ses tentacules autour d’elle ». Elle a révélé que l’adaptation engage pour elle une responsabilité envers les auteurs, parfois disparus. Ce procédé devient alors une forme de communication envers les âges, elle cherche à rendre justice à l’auteur qui l’a écrit, parce qu’il y a une intimité qui se crée toujours entre elle et le roman d’origine.

Mais cela ne l’empêche pas de penser qu’il est aussi important, pour maitriser le langage du cinéma, d’apprendre à regarder la réalité du monde, à s’imprégner de ce qu’il se passe autour de nous.

Elle a avoué ne suivre aucune école cinéphile. Elle dit avoir des goûts extrêmement larges, aimant tout ce qui est bien fait. Pour elle, les films ne doivent pas être trop cités mais digérés et ressortis avec sa propre poitrine ! Cependant elle a tout de même admis être particulièrement inspirée par Francis Ford Coppola, dont elle peut revoir le travail sans cesse et sans s’ennuyer un instant.

Par ailleurs, très impliquée dans la parité, elle a assuré avec conviction qu’il n’y a pas de « femme réalisatrice » qui veut être vue comme « femme réalisatrice » mais plutôt comme « femme » de la même façon qu’on ne parle pas d' »homme réalisateur ». Ainsi, pour elle, il n’y a pas de genre spécifique dans ce métier.

Enfin ses personnages se connectent profondément avec la nature. Elle a attesté son amour pour la nature, et même parfois de la manière dont l’homme l’a transformée. Cependant elle est terrifiée à l’idée que la nature puisse disparaitre, et a signalé qu’il faut « se réveiller et éduquer les jeunes », « faciliter l’éducation et lutter contre les écoles de cinéma payantes », comme elle l’a fait en créant son école de cinéma.

Après sa master class, Jane Campion a reçu le prix Lumière face à la salle comble de l’Amphithéâtre 3000.

Luc Dardenne qui avait reçu le Prix Lumière l’année dernière, en duo avec son frère Jean-Pierre Dardenne, a signalé la joie de recevoir un prix prestigieux d’une ville « qui vit à l’heure du cinéma ».

Cette cérémonie a été orchestrée par Thierry Frémaux et rythmée en musique avec la présence d’un slameur lyonnais Sirius qui a interprété un hymne à sa ville, « Lyon je te kiff », puis d’Abd al Malik qui a honoré en chanson le Piano de Jane Campion.

Des vers, ceux du poète de Bright Star, John Keats, ont aussi résonné dans la salle en anglais puis dans leur traduction française.

Pour cette soirée centrée sur la place de l’art au féminin dans le monde du septième art, un hommage a été rendu au cinéma de Kinuyo Tanaka ainsi qu’à celui d’Agnes Varda, avec la projection de la restauration de « Christmas Carol » de 1965, un court-métrage qui faisait apparaitre Gérard Depardieu encore très jeune acteur.

La cérémonie a donné lieu a une succession de discours partageant admiration et émotion engendrées par la filmographie de Jane Campion.

La nouvelle présidente de l’Institut Lumière a confié être « tombée amoureuse des films de Jane Campion à 18ans », de films « qui côtoient l’infiniment grand et l’infiniment petit, des personnages aux choix déterminants et forts ».

Julia Ducournau, sacrée cette année à Cannes avec Titane, a déclaré avoir essayé, en recevant la Palme d’or, de savoir ce que Jane Campion avait ressenti avant elle et a confessé qu’elle l’a sauvée de la solitude : « Elle m’a épargné l’épreuve d’être la première femme. Et bien souvent, par ses films, elle m’a sauvé de la solitude. Avec ses héroïnes elle m’a montré qu’être une femme s’est se battre pour être libre, et pour le rester. »

La réalisatrice italienne Alice Rohrwacher a quant-à-elle proclamé que : « J’ai grandi dans un monde où le féminin était synonyme de délicat et fragile. Toi tu es la démonstration qu’on peut être fragile et forte, délicate et sauvage. Merci pour nous. Je n’ai qu’un mot : Maestra. ».

Enfin Jane Campion a reçu le prix Lumière en prononçant ces mots : « Le cinéma m’a donné ma vie. Venir ici, où il a été inventé par les frères Lumière, c’est comme aller à Bethléem. Ils avaient des femmes et des sœurs, je pense à elles. Je suis touchée de voir qu’ici vous aimez le cinéma comme j’aime le cinéma. »