Comme Thierry Frémaux l’a si bien dit « rien ne pouvait arriver de mieux dans un festival Lumière de cinéma cette année que tomber sur eux ! ». Le festival a permis de redécouvrir les films des frères Dardenne qui peuvent nous aider à développer des réflexions collectives sur le monde après cette année si particulière. Jean-Pierre et Luc Dardenne ont donné une conférence de presse après avoir reçu le Prix Lumière. Une occasion pour ses deux frères du cinéma d’interroger leur carrière et leur pratique du septième art.
Le cinéma une histoire de fraternité et d’amitié
Les deux frères belges ont eu comme but originel de faire des films ensemble sur l’histoire du mouvement ouvrier de leur région et pour parvenir à réaliser cet objectif ils ont exprimé leur indissociabilité, ayant toujours eu besoin du regard de l’un et du regard de l’autre. Mais cette fraternité se mêle aussi à des liens d’amitié avec d’autres professionnels du cinéma comme c’est le cas concernant leur approche de la production. En donnant l’exemple de leur travail avec Ken Loach, ils ont exprimé ce qu’était le métier de coproducteur pour eux et comment ils intervenaient en appui au producteur : « on coproduit des films de gens qui sont nos amis ».
Mais des amitiés se tissent aussi avec leurs acteurs comme avec Emilie Dequenne. Malgré qu’ils n’aient pas retourné avec elle, depuis Rosetta, depuis vingt ans, il n’ont pas exclu la possibilité qu’elle revienne dans un de leurs futurs projets : « Mais pas pour l’instant ». Ils ont effectivement reconnu n’avoir jamais retravaillé avec aucune de leurs comédiennes, parce que pour eux elles représentaient chaque fois des présences uniques et qu' »Emilie c’est Rosetta ». Ils ont néanmoins souligné que de son côté elle a prouvé qu’elle n’était pas Rosetta en affirmant son talent dans un bon nombre d’autre films. Ils ont d’ailleurs révélé qu’à chaque fois qu’ils choisissent un acteur un pari demeure. Ils n’ont aucune certitude sur leur choix mais espèrent qu’ils répondront à leur objectif premier : « donner une vie à des personnages qui n’existent pas, à des êtres de papier ».
Le cinéma avant tout comme partage et comme diversité
Comme ils l’ont revendiqué, ce n’est pas les prix qui les intéressent mais avant tout la possibilité d’être présent dans les salles, dans les festivals pour tester le résultat de leur œuvre et ceci autant avec les professionnels qu’avec le public. Ils ont été heureux de rencontrer le public lyonnais jusqu’à dans les salles de la Métropole, excentrées de Lyon.
Ils ont souligné l’importance du partage de leur cinéma avec le public et en particulier avec les personnes qui ne pensaient pas s’intéresser au cinéma d’auteur. C’est pour cela que Luc n’est pas réticent aux blockbusters mais pour lui ils ne doivent pas formater la perception des jeunes spectateurs au point de ne plus pouvoir voir d’autres films : « il faut quand même montrer d’autres films du patrimoine aux jeunes ». Malgré leur fonctionnement en série un peu répétitif, les films Marvel ne leurs semblent pas révoltant et Jean-Pierre a déclaré ne pas « avoir de dogme » concernant ces films. Ils souhaiteraient cependant limiter leur puissance d’argent afin qu’ils ne désavantagent pas les films d’auteurs qui s’opposent à eux par leur caractère unique.
Un cinéma miroir de la société
Faire des films sur l’histoire du mouvement ouvrier de leur région a toujours animé l’esprit créatif des frères Dardenne. C’est pourquoi ils ont débuté par le documentaire mais déjà avec la volonté de filmer des acteurs. « La fiction permet aussi de voir ce qu’il se passe, je ne pense pas que le documentaire soit plus fort et correspond plus à une situation difficile ». Ils ont néanmoins témoigné de leur impression de ne jamais avoir quitté leur logique de documentaristes : « Chaque personne filmée à une présence unique ». Mais à cette histoire des personnages vient s’ajouter l’histoire du paysage qu’ils filment par morceaux.
Leur cinéma se veut pleinement encré dans les problématiques sociétales contemporaines et veut lutter contre la très forte tendance actuelle dans laquelle tout le monde revendique ses appartenances.
Ils sont également revenus sur la figure récurrente de l’enfant, du jeune adulte, et du motif des relations entre générations et ont souligné la solitude de ces personnages qui tendent à refléter ce qu’ils ont vu eux : « toutes les jeunes filles et jeunes gens dans les rues qui nous ont paru tellement seuls ». Ils ont souhaité les sauver en quelque sorte par leurs films. Ils ont également témoigné avoir été marqué et perturbé par le fait divers anglais de 1992 où deux enfants ont tué un autre enfant, ils ont alors essayé de comprendre par le cinéma ce que cela peut signifier pour notre société.
À noter que les frères Dardenne ont tourné ce samedi 17 octobre le remake du film Sortie d’usine avec les masques et avec la caméra à la place des frères Lumière et les distanciations sociales : une façon pour le festival d’immortaliser la particularité de la situation en cette année 2020.